Auteur
Jean-Pierre BRECHET
Résumé
La réflexion proposée sur l’existence du projet d’entreprise se fonde sur l’expérience d’une démarche projet ambitieuse conduite dans une grande université multidisciplinaire. Elle participe d’une réflexion plus générale sur la place du projet en tant que dispositif de rationalisation de l’action collective et, de ce point de vue, les sciences de gestion, plus généralement les sciences de l’action, ne peuvent faire l’impasse sur le projet comme composante des processus d’intelligibilité et de contrôle de l’action. L’idée générale selon laquelle les phénomènes organisés ne peuvent se comprendre sans référence aux projets qu’ils servent, s’applique bien sûr aux organisations que sont les universités. Celles-ci doivent d’ailleurs se doter de projets, conformément au souhait explicite, depuis septembre 1990, de la Direction de la Programmation et du Développement Universitaire (DPDU) d’ancrer le contrat avec l’Etat dans le projet d’établissement. Mais l’étude d’intention scientifique d’une démarche projet se heurte à des difficultés nombreuses, qu’elles aient trait aux difficultés d’isoler la démarche, de l’observer ou d’en apprécier l’inscription dans l’organisation existante. L’intégration que l’on pourrait qualifier de projective ou de politique-stratégique que devrait favoriser le projet d’établissement se montre difficile. Le projet n’est d’ailleurs pas seul en cause dans les difficiles régulations universitaires, car la démarche projet ne représente qu’un dispositif de rationalisation parmi tout un ensemble de dispositifs autres (dispositifs consultatifs et décisionnels divers – commissions, charges de missions… -, dispositifs opérationnels multiples – procédures, progiciels… -, dispositifs légaux – prérogatives des conseils notamment - ) qui régissent les modalités de fonctionnement du pouvoir du centre ou des rapports centre-périphérie, au carrefour de la régulation tutélaire et de la régulation disciplinaire. Le projet universitaire se confronte à une pluralité de points de vue, de légitimités ou de justifications des choix, on pourrait dire aussi de rationalisations possibles de l’action. La rationalisation ex-ante particulière de l’action universitaire que pourrait représenter le projet peine à légitimer l’action collective et fonder le collectif universitaire. Avec la démarche projet, des relations et des savoirs sont modifiés mais, au final, le changement attendu en termes d’apprentissages nouveaux, n’a pas réellement lieu. Les modes de raisonnement et les modes relationnels inédits, qui auraient dû se trouver au coeur d’un
apprentissage collectif renouvelé ne sont pas inventés et encore moins appris. Le projet est pour partie instrumentalisé dans le jeu des régulations qu’il était censé faire évoluer. Les rapports centrepériphérie originaux, qu’appelait le pilotage politique décentralisé souhaité, se retrouvent confrontés à la logique toujours très prégnante des relations verticales. Les rapports de confiance qui auraient dû accompagner les comportements de coopération souhaités se révèlent alors extrêmement difficiles à construire. La construction du projet universitaire se montre finalement révélatrice des difficultés et contradictions que la confrontation à la complexité demande de traiter dans le contexte singulier et instructif d’un univers universitaire français qui s’ouvre à la gouvernance.
Auteurs
Jean-Pierre BRECHET
Alain DESREUMAUX
Résumé
Si la notion de projet est devenue centrale dans l'univers du management, il n'est pas certain que l'on en ait tiré tout le parti possible, notamment comme base de théorisation de l'entreprise. Celle-ci, comme toute action collective, c'est-à-dire comme construction conjointe de savoirs et de relations, ne peut être pensée sans faire toute sa place au projet comme dispositif de rationalisation de l'action.
Le concept de projet articule les diverses dimensions par lesquelles l’action se comprend : rapport entre pensée et action, rapport au sens, rapport au temps, rapport à l’autre. Saisi dans toute sa richesse, ce concept permet d'appréhender la dynamique de constitution et de développement de l'entreprise :
• La notion de projet, et notamment de projet productif, est indispensable dans le cadre de l’individualisme méthodologique complexe appliqué au monde des organisations, et notamment des entreprises, pour comprendre la constitution des collectifs et des régulations concurrentielles.
• Le projet, mode d’anticipation à caractère opératoire, assure conceptuellement le passage de l’univers cognitif des règles que l’on envisage à l’univers réel des règles et des régulations que l’on pratique.
• Le concept de projet à travers les dimensions qu’il recouvre, et notamment le concept de projet productif avec ses dimensions politique, économique et organisationnelle, permet d’introduire et d’articuler l’univers du sens et l’univers pragmatique, les échéances temporelles pertinentes pour l’action.
Ce qui est ainsi avancé, c’est une théorie processuelle ou développementale de l’entreprise qui prenne explicitement en compte le substrat projectif support des relations entre les acteurs, à la fois pour fonder le collectif et les régulations concurrentielles. Une telle théorie est qualifiée de stratégique car elle récuse les déterminismes qu’ils soient du côté de l’acteur ou des structures. Elle revendique donc la posture d’analyse stratégique de la sociologie des organisations, enrichie de la prise en compte des projets des acteurs.