Auteur
Jean-Jacques PLUCHART
Résumé
Les stratégies d'externalisation des activités des entreprises focalisent actuellement l'attention des théoriciens comme des praticiens du management stratégique et du développement des ressources humaines de l'entreprise. Une décision d'externalisation engage un processus complexe - et apparemment irréversible - de natures à la fois technologique, économique et social, dont l'analyse constitue l'objet de la présente recherche actuellement en phase exploratoire. L'entreprise engagée dans un mouvement de repli sur son métier de base - généralement assorti d'une externalisation de certaines de ses tâches immatérielles - affronte en effet une logique particulière de changement. Cette mutation peut être considérée par les salariés de tous niveaux de l'entreprise, comme une rupture, en raison notamment de sa double dimension : praxéologique - par les actions qu'elle entraine - et axiologique - par les valeurs qu'elle contient (P. LOUART, 1995).
C'est pourquoi les dirigeants des entreprises "externalisatrices" s'efforcent de trouver de nouvelles voies de consensus entre les acteurs impliqués - à la fois internes (salariés) et externes (actionnaires, sous-traitants, fournisseurs, clients ...) - par des discours stratégiques visant à "donner à leurs décisions des significations acceptables pour l'action collective". La construction de tels "discours d'interprétation" est rendue difficile par la nature paradoxale de leur objet : "conférer un sens collectif aux transferts d'activités, et donc d'emplois, à des tiers". C'est pourquoi les décisions de gestion portant sur le transfert de "fonctions d'intelligence" de l'entreprise, doivent - probablement plus que tout autre acte de gestion - être "contextualisées" par des modes de représentations particulières de l'organisation dans son environnement spécifique. Ce dernier a en effet "une objectivité que chacun traduit subjectivement par un "contexte" "ou "discours sur l'environnement"), qui est tout aussi fondamental que l'environnement lui-même, puisqu'il est à la base de la réactivité des individus ..." (J. GIRIN, 1990). Le dirigeant d'une P.M.E. engagée dans une stratégie d'externalisation de ses services, est ainsi tenu de "construire un champ opératoire favorable à l'action, en le rendant pleinement intelligible aux différents acteurs impliqués, internes et externes".
Les processus de représentation et les constructions de ces discours doivent donc "s'imposer" aux acteurs pour provoquer la "mutation cognitive suffisante à entraîner un véritable changement comportemental" (J. PIAGET, 1974). Elles s'inscrivent donc dans "un processus cognitif d'apprentissage organisationnel" (L. ARGYRIS et D. SCHÔN, 1978). Confrontés à un environnement complexe, les dirigeants d'entreprises prennent en effet des décisions et symbolisent leurs actions en fonction de leurs propres représentations des organisations qu'ils contrôlent : "ils subissent et influencent à la fois le système qu'ils ont la charge de contrôler". L'analyse de leurs démarches fait notamment appel aux concepts de complexité cognitive, objet d'études de plus en plus approfondies depuis que K. LEWIN en a jeté les bases en 1951.