AIMS

Guérin Francis
Le concept de communauté : une illustration exemplaire de la production des concepts en sciences sociales ?

Auteur

Francis GUERIN

Résumé

Le concept de communauté, très utilisé en sociologie depuis les origines de la discipline et en sciences de gestion depuis les années 1990, y est néanmoins abondamment décrié en raison de sa polysémie et de son flou sémantique. Dans le champ des sciences de gestion, il est en particulier représenté par les concepts de communauté de pratique ou de communauté virtuelle qui, ayant trait à l’apprentissage collectif, intéresse plus spécifiquement le management stratégique.
Le propos de l’article n’est pas de dénoncer une fois de plus cette polysémie dont nous constaterons cependant l’abondance, mais il est au contraire de mettre en évidence, à travers un parallèle entre les deux disciplines, le caractère inévitable et même profondément sain de ces caractéristiques du concept, lesquelles relèvent davantage de l’idiosyncrasie des sciences sociales que d’une faiblesse constitutive du concept lui-même.
En effet, les sciences de gestion comme la sociologie sont comme l’ensemble des sciences socialesdes  « disciplines historiques » tant du fait qu’elles ont leur propre histoire qu’en raison du caractère par nature évolutif de leurs objets : la polysémie est donc d’autant plus forte que l’objet est étudié sur des périodes différentes et que la discipline s’en est emparé depuis longtemps pour le conceptualiser. De plus, elle indique davantage le fort intérêt de la communauté scientifique d’une discipline (qui  engendre des phénomènes d’appropriation tant par des producteurs de concepts que par leurs utilisateurs) qu’une incapacité à fixer définitivement un sens unique : elle sera donc, pour ce qui concerne la « communauté » en particulier, un indicateur de l’intérêt et des controverses que ce concept soulève dans les disciplines où il est présent.
Autrement dit, plutôt que de remettre en cause la « communauté » en tant que concept, l’article
cherche à cerner en quoi elle constitue un révélateur possible de la nature et de la portée des
concepts que peuvent espérer forger les sciences sociales : la polysémie des concepts, plutôt qu’une
pathologie ou une exception dommageable nous paraît dès lors y constituer la norme et la normalité
de ces disciplines, ce qui suppose d’une part de renoncer définitivement à une nomenclature
rigoureuse et ordonnée de leurs production conceptuelle et d’autre part d’accorder une attention
particulière à l’histoire de cette production afin de pouvoir situer sa propre conceptualisation par
rapport à celles qui l’ont précédée.